M. Carpenter exploite une entreprise, dont il est seul propriétaire, qui vend de la publicité dans
des revues et offre aux éditeurs de ces revues divers services en matière d'administration et de
publication d'annonces. L'entreprise a son siège au Royaume-Uni, où sont également établis
certains de ses clients. Une part significative de l'activité de l'entreprise est toutefois réalisée
avec des clients ayant leur siège dans d'autres États membres. M. Carpenter participe en outre
à des conférences dans d'autres États membres pour ses besoins professionnels.
En juillet 1996, Mme Carpenter a saisi le Secretary of State d'une demande d'autorisation de
séjour en tant que conjointe d'un ressortissant du Royaume-Uni. L'autorité compétente a rejeté
cette demande et a décidé de rendre une décision d'expulsion à son encontre au motif qu'elle
n'avait pas respecté la durée de son autorisation d'entrée.
Mme Carpenter conteste cette décision. L'Immigration Appeal Tribunal entre-temps saisi a
sursis à statuer et déféré à la Cour de justice des Communautés européennes la question de
savoir si, en pareille hypothèse, le droit communautaire peut conférer à l'épouse, non-
ressortissante communautaire, d'un ressortissant d'un État membre de la Communauté
européenne un droit de séjour au Royaume-Uni.
Madame l'Avocat général Stix-Hackl rend aujourd'hui ses conclusions dans cette affaire.
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L'Avocat général propose à la Cour de répondre à la question déférée par le juge
britannique en ce sens que, dans une situation où un ressortissant d'un État membre, établi
dans cet État membre, effectue des prestations de services en faveur de personnes dans
d'autres États membres et a un conjoint qui n'est pas ressortissant d'un État membre, le
conjoint ressortissant d'un pays tiers peut se fonder sur une directive communautaire de
1973 pour acquérir le droit de séjourner avec son conjoint dans l'État d'origine de celui-ci.
Il convient de tenir compte à cet égard du fait que cette directive doit être interprétée à la
lumière de la liberté de prestation de services et des droits fondamentaux, en particulier
du droit au respect de la vie familiale.
L'Avocat général signale tout d'abord que Mme Carpenter ne saurait se fonder, à l'appui de son
droit de séjour, sur les libertés fondamentales que le traité confère aux ressortissants de l'Union
européenne, telle que la liberté de prestation de services, car elle est ressortissante d'un État qui
ne fait pas partie de l'Union européenne, à savoir les Philippines.
Il en va autrement, de l'avis de l'Avocat général, avec la directive 73/148/CEE relative à la
suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à
l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services. L'Avocat
général affirme que selon cette directive, le statut en matière de droit de séjour d'un ressortissant
d'État tiers marié à un citoyen de l'Union est fonction de la situation juridique du citoyen de
l'Union: pour autant et aussi longtemps que le citoyen de l'Union fait usage des libertés
fondamentales d'établissement ou de prestation de services transfrontières que lui confère le
droit communautaire, son conjoint, non-ressortissant de l'Union, bénéficie d'un droit de séjour
grâce à la directive communautaire. M. Carpenter exerce ses droits communautaires à double
titre, en ce qu'il se rend dans un autre État membre pour des raisons professionnelles, pour y
exercer une activité indépendante, et en ce qu'il effectue ses prestations de services vers
l'étranger à partir du Royaume-Uni. Il s'ensuit, selon l'Avocat général, que le droit
communautaire confère à Mme Carpenter un droit de séjour (qu'elle tient de son mari) au
Royaume-Uni.
L'application des dispositions du Royaume-Uni, en vertu desquelles Mme Carpenter se voit
refuser une autorisation de séjour et doit être expulsée, peut également gêner son mari dans
l'exercice de son droit communautaire à la libre prestation de services dans d'autres États
membres.
L'Avocat général souligne toutefois que ces dispositions du Royaume-Uni doivent être
interprétées par les autorités et les juridictions nationales à la lumière des droits fondamentaux
de la Communauté, dont font également partie ceux de la Convention européenne des droits de
l'homme. Dans cette affaire, le droit au respect de la vie familiale consacré par la Convention -
c'est-à-dire la protection du mariage et la relation avec les enfants - subit une atteinte
fondamentale.
Le droit au respect de la vie familiale ne jouit pas pour autant d'une protection absolue, les
ingérences de l'État étant autorisées à certaines conditions. L'Avocat général relève que
l'appréciation de l'admissibilité d'une atteinte aux droits fondamentaux dépend de la prise en
compte des circonstances de chaque cas concret, ce qui reste de la compétence du juge national.
La Cour de justice des Communautés européennes peut toutefois lui fournir à cette fin un certain
nombre de critères.
Ainsi, s'agissant de la question de la nécessité de l'ingérence, il y a lieu d'examiner si elle
respecte le principe de proportionnalité (mise en balance des intérêts privés et publics). L'Avocat
général mentionne entre autres à cet égard les critères suivants: Peut-on raisonnablement
demander à Mme Carpenter de solliciter uniquement de l'étranger la délivrance de
l'autorisation? Son expulsion serait-elle acceptable pour M. Carpenter et éventuellement pour
ses enfants? L'État a en revanche un intérêt à ce que soit respectée sa législation relative aux
étrangers en particulier en ce qui concerne le droit de séjour. Que pèse à cet égard l'infraction
de Mme Carpenter, qui est restée au Royaume-Uni après l'expiration de son autorisation à durée
limitée? Le non-respect de la législation relative aux étrangers pourrait également être sanctionné
par des peines d'amende et d'emprisonnement. La jurisprudence de la Cour encadre les mesures
d'éloignement du territoire dans des limites strictes.
Langues disponibles: anglais, français et allemand Pour le texte intégral des conclusions, veuillez consulter notre page Internet www.curia.eu.int aux alentours de 15 heures ce jour. Pour de plus amples informations veuillez contacter M. J. M. Rachet tél. (352) 43 03 3205 fax (352) 43 03 2034. |