Pfizer Animal Health SA / Conseil et Alpharma Inc. / Conseil
Pendant de longues années, les antibiotiques mentionnés avaient
été ajoutés, à très faible doses, dans l'alimentation
de certains animaux en tant que facteurs de croissance. Cette pratique est
connue pour entraîner une meilleure croissance des animaux ainsi qu'une
meilleure prise de poids de sorte que l'animal a besoin de moins de temps et
de nourriture pour atteindre le poids requis pour l'abattage. Cette pratique
est également réputée présenter certains effets secondaires
avantageux, notamment la prévention de certaines maladies chez les animaux.
Depuis les années 1970, de nombreux scientifiques ont soutenu que cette
pratique comporte le risque d'un développement d'une résistance
chez les animaux à ces antibiotiques ainsi que celui d'un transfert de
cette résistance à l'homme à travers, notamment, la chaîne
alimentaire, ce qui aurait pour conséquence que ces antibiotiques (ainsi
que certains autres antibiotiques apparentés à ceux-ci) ne pourraient
plus être employés efficacement en médecine humaine pour le traitement
de certaines maladies dangereuses. En particulier, en 1997 et 1998, des organismes
internationaux, communautaires et nationaux spécialisés, tels que
l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ont recommandé de mettre
fin à cette pratique, soit d'une manière progressive, soit immédiatement.
Au moment de l'adoption du règlement attaqué, la preuve de l'existence
d'un lien entre l'utilisation des antibiotiques concernés et le développement
de résistances à ces antibiotiqueschez l'homme n'avait pas été
apportée. C'est dans ce contexte, que le Conseil a invoqué, dans le
règlement attaqué, le principe de précaution.
Au moment de l'adoption de ce règlement, Pfizer Animal Health SA était
le seul producteur de la virginiamycine au monde, et Alpharma Inc. était
le seul fabricant et le fournisseur le plus important de la bacitracine-zinc
en Europe. Ils ont introduit des recours en annulation devant le Tribunal de
première instance contre ce règlement du Conseil. Pfizer Animal Health
était soutenue par plusieurs associations agricoles. Le Conseil était
soutenu par la Commission ainsi que par le Danemark, la Suède, la Finlande
et le Royaume-Uni. En 1999, des demandes de sursis à l'exécution de
ce règlement ont été rejetées par deux ordonnances du président
du Tribunal. Une des deux ordonnances, frappée d'un pourvoi, a été
confirmée par le président de la Cour.
Devant le Tribunal, Pfizer et Alpharma soutiennent que, au lieu de procéder
à une évaluation approfondie des risques liés à ces produits,
les institutions communautaires ont cherché à exclure tout risque,
dans une approche irréaliste dite risque zéro, en fondant
leur décision sur des raisons d'opportunité politique plutôt
que sur une analyse scientifique objective.
Le Tribunal précise dans cette affaire les conditions d'application
du principe de précaution en droit communautaire. Il confirme dans
une large mesure les principes qui avaient été décrits par la
Commission en 2000 dans une communication sur le recours au principe de précaution.
Il rappelle tout d'abord que, dans le cadre d'autres affaires relatives à
la sécurité alimentaire (notamment la crise de la vache folle),
le juge communautaire a déjà confirmé la possibilité
de prendre des mesures préventives sans avoir à attendre que la réalité
et la gravité de ces des risques identifiés soient pleinement démontrées.
Toutefois, il souligne qu'une mesure préventive ne saurait être
fondée sur de simples hypothèses scientifiquement non vérifiées,
mais ne peut intervenir qu'en cas de risque réel. Cette notion de risque
implique, selon le Tribunal, un certain degré de probabilité de la
survenance des effets négatifs que l'on cherche précisément à
éviter par l'adoption de cette mesure. Ce niveau de risque ne peut être
placé à un niveau risque zéro.
Avant toute mesure préventive, l'autorité publique doit donc procéder
à une évaluation du risque qui comporte deux volets: un volet
scientifique, c'est-à-dire une évaluation scientifique des risques
aussi exhaustive que possible compte tenu, notamment, de l'urgence et un volet
politique (gestion des risques) dans le cadre duquel l'autorité
publique doit choisir quelle mesure lui semble appropriée eu égard
au niveau de risque qu'elle a retenu.
Dans son arrêt, le Tribunal insiste surtout sur les conditions que
l'autorité publique doit respecter dans le cadre de l'évaluation scientifique.
Il souligne tout particulièrement le rôle primordial des experts
scientifiques dans ce contexte et il en déduit que les comités
scientifiques compétents doivent être entendus même si la législation
ne le prévoit pas explicitement, à moins que l'autorité publique
puisse assurer qu'elle se fonde sur une base scientifique équivalente.
Toutefois, le Tribunal souligne qu'il n'appartient pas aux experts scientifiques,
mais à l'autorité publique à qui la responsabilité politique
a été confiée, de prendre la décision d'interdire un produit.
Concernant l'antibiotique virginiamycine:
Le comité scientifique compétent au niveau communautaire a estimé,
après avoir été consulté sur les éléments scientifiques
apportés par les autorités danoises dans le cadre de leurs mesures
de sauvegarde, qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments scientifiques
pour conclure à l'existence d'un risque lié à ce produit et n'a
pas recommandé aux institutions communautaires de retirer ce produit du
marché. Le Conseil a toutefois décidé d'interdire cette substance.
Le Tribunal confirme cette décision, en rappelant le rôle des experts
scientifiques, dont l'intervention doit assurer que la mesure est prise
sur une base scientifique objective. Toutefois, il juge que, sauf si la
législation le prévoit autrement, l'autorité publique n'est pas
tenue par ces avis. Dans le cas d'espèce, s'agissant d'une mesure prise
dans l'objectif de laprotection de la santé humaine, la position défendue
par les Institutions, qui diverge de celle exprimée dans l'avis scientifique,
doit être fondée sur ce seul objectif. Ceci implique que, pour
s'écarter des conclusions exprimées dans l'avis du comité scientifique
compétent, les institutions doivent pouvoir s'appuyer sur
*
une analyse appropriée
*
réalisée avec soin et impartialité
*
de tous les éléments pertinents du cas d'espèce
*
au nombre desquels figure le raisonnement ayant conduit
aux conclusions exprimées dans l'avis de ce comité.
Le Tribunal estime que, dans le cas d'espèce, la décision des Institutions
de ne pas suivre l'avis scientifique est justifiée par l'intérêt
de la protection de la santé humaine.
Concernant l'antibiotique bacitracine-zinc:
Le comité scientifique n'a pas du tout été entendu avant l'adoption
du règlement attaqué à l'égard de ce produit spécifique.
Les Institutions ont par contre constaté que ce produit appartenait à
une des familles d'antibiotiques pour lesquelles, selon les recherches disponibles,
le risque d'un transfert était le plus élevé.
Le Tribunal juge que, compte tenu des connaissances scientifiques dont elles
disposaient déjà à l'égard des différents autres antibiotiques,
les Institutions ont pu adopter une approche horizontale relative à l'ensemble
de cette famille d'antibiotiques en excluant de façon systématique
l'utilisation comme additifs dans l'alimentation pour animaux de produits également
utilisés en médecine humaine (exclusion de produits à usage double
[dual use]). Tout en admettant cette approche horizontale, le Tribunal
considère que les Institutions pouvaient interdire ce produit sans avoir
eu recours, au préalable, à un avis spécifique pour ce produit
du comité scientifique compétent.
Le Tribunal conclut que, malgré l'incertitude sur l'existence d'un
lien entre l'utilisation de ces antibiotiques comme additifs et le développement
de la résistance chez l'homme à ces produits, l'interdiction de ces
produits n'est pas une mesure disproportionnée par rapport à l'objectif
poursuivi, à savoir la protection de la santé publique.
Rappel: Un pourvoi, limité aux questions
de droit peut être formé devant la Cour de justice des CE contre la
décision du Tribunal, dans les deux mois à compter de sa notification.
Ce document est disponible en français, anglais, allemand, italien,
espagnol et néerlandais. Pour le texte intégral de l'arrêt, veuillez consulter notre
page Internet www.curia.eu.int
tél. (3 52) 43 03 32 05 fax (3 52) 43 03 20 34. |