Division de la Presse et de l'Information
COMMUNIQUÉ DE PRESSE Nº 39/03
15 mai 2003
Conclusions de l'Avocat général M. Siegbert Alber dans les affaires de pourvoi C-93/02
P et C-94/02 P
Biret International SA et Établissements Biret et Cie. SA/Conseil de l'Union européenne
En avril 1996, le Conseil a adopté une nouvelle directive communautaire qui a
maintenu l'interdiction d'importation évoquée et qui l'a étendue à une autre hormone. Le 13
février 1998, l'ORD a déclaré incompatibles avec l'accord SPS les dispositions de cette
directive. La Communauté s'est vu accorder un délai fixé au 13 mai 1999
pour mettre en oeuvre les recommandations contraignantes de l'ORD. À cette fin, une proposition
de directive de la Commission du 24 mai 2000, modifiant la directive de
1996 est à l'examen par le Conseil mais, à ce jour, elle n'a pas été
adoptée.
En juin 2000, Biret a introduit contre le Conseil de l'Union européenne et
devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (CE) un recours en
réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de l'interdiction d'importer dans
la Communauté de la viande bovine traitée avec certaines hormones.
Le Tribunal de première instance des CE a rejeté un droit à indemnisation se
fondant sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle, si l'accord OMC et
ses annexes sont devenus partie intégrante du droit communautaire, compte tenu de leur
nature et de leur économie, ils ne figurent pas en principe parmi les
normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions
communautaires; les dispositions des accords OMC ne créent pour le particulier aucun droit
dont il pourrait se prévaloir en justice. Il n'est dérogé à ce principe que
lorsque la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le
cadre de l'OMC, ou que l'acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des
accords OMC. Or, aucune de ces hypothèses n'est vérifiée en l'espèce.
Biret a formé un pourvoi devant la Cour de justice des CE.
L'Avocat général M. Alber présente aujourd'hui ses conclusions.
L'opinion de l'Avocat général ne lie pas la Cour. Sa mission consiste à proposer
en toute indépendance à la Cour une solution juridique pour permettre à celle-ci de statuer
sur les affaires dont elle a été saisie.
L'Avocat général constate tout d'abord que, selon une jurisprudence constante, le droit de
l'OMC n'est pas directement applicable et qu'aucune des deux exceptions admises par la
jurisprudence (exécution d'une obligation particulière assumée dans le cadre de l'OMC; renvoi expressément
à une disposition précise des accords OMC) n'existe en l'espèce.
Partant du constat que, après l'adoption des recommandations de l'ORD de février 1998,
il était encore nécessaire d'édicter un acte juridique communautaire pour mettre en oeuvre
la recommandation de l'ORD, l'Avocat général soulève la question de savoir si, exceptionnellement,
Biret ne doit toutefois pas pouvoir se prévaloir de la recommandation de l'ORD
et, alors, invoquer directement le droit de l'OMC parce que le délai imparti
à la Communauté pour mettre en oeuvre les recommandations était expiré depuis longtemps. Le
délai de mise en oeuvre a expiré en mai 1999. Si la Commission
a, en juin 2000, présenté une proposition de modification du droit communautaire, la
procédure législative n'est toujours pas achevée de sorte que, depuis mai 1999, la
situation juridique tant dans le cadre de l'OMC que de la Communauté est
toujours la même. La question se pose donc de savoir si Biret doit
accepter cette situation sans compensation ou si, dans des circonstances de cette nature,
on peut se prévaloir d'une décision de l'ORD par laquelle est établie de
manière contraignante l'illégalité du droit communautaire, de sorte que le droit de l'OMC
doit être considéré comme directement applicable et que Biret se voit offrir la
possibilité d'un éventuel droit à indemnisation.
L'Avocat général répond par l'affirmative.
Il expose que - contrairement à ce que prévoyait le GATT - le mécanisme
de règlement des différends instauré dans le cadre de l'OMC est caractérisé par
le fait que, une fois rendue la décision ou la recommandation de l'ORD,
elle doit être mise en oeuvre sans condition. Les parties ne peuvent alors
plus transiger ou convenir de déroger aux obligations. Elles peuvent seulement négocier le
délai dans lequel elles doivent mettre en oeuvre la décision de l'ORD. En
l'espèce, ce délai a été fixé à 15 mois et a expiré en mai
1999.
Selon l'Avocat général, la reconnaissance d'un droit à indemnisation ne limite pas la liberté
d'action des organes législatifs et exécutifs de la Communauté. Après adoption d'une recommandation
ou d'une décision de l'ORD, les parties contractantes de l'OMC n'ont plus de
marge de manoeuvre (de négociation) quant à la question de savoir si elles mettent
ou non en oeuvre la recommandation ou la décision. Selon l'Avocat général, elles
ne peuvent pas se soustraire à leurs obligations découlant des accords OMC en négociant
une dispense (waiver). La manière dont la Communauté établit la conformité de ses
mesures aux obligations de l'accord SPS est toujours laissée à l'appréciation des institutions communautaires
compétentes. Il se peut également que ces dernières imposent à nouveau une interdiction d'importation
fondée sur de nouvelles preuves scientifiques, qui soit cette fois compatible avec l'accord
SPS. La reconnaissance d'une applicabilité directe ne fonde aucun droit pour le particulier
à ce que les institutions communautaires agissent d'une façon déterminée, par exemple à ce qu'elles
lèvent l'interdiction d'importation, mais fondent uniquement un droit à réparation financière.
D'après l'Avocat général, la reconnaissance d'un droit à indemnisation dans pareils cas correspond à la
jurisprudence sur la procédure en manquement et sur la responsabilité des États membres
du fait de la non-transposition du droit communautaire (arrêt du 19 novembre 1991,
Francovich, C-6/90).
Il affirme en outre, qu'il existe un droit fondamental au libre exercice d'une
activité économique et qu'il est inéquitable de refuser au citoyen un droit à indemnisation
lorsque, du fait de sa carence, le législateur communautaire continue de maintenir une
situation contraire aux accords OMC pendant plus de quatre ans après l'expiration du
délai accordé pour mettre en oeuvre la recommandation de l'ORD, et qu'il continue
ainsi de restreindre illégalement les droits fondamentaux du citoyen.
L'Avocat général conclut que le droit de l'OMC est directement applicable lorsque l'incompatibilité
d'une mesure communautaire avec le droit de l'OMC a été constatée dans des
recommandations ou décisions de l'ORD et que la Communauté n'a pas mis en
oeuvre les recommandations ou décisions dans le délai raisonnable accordé par l'OMC.
L'Avocat général examine en outre si les dispositions de l'OMC ont pour effet
de protéger le particulier. Il insiste sur le fait que ce sont avant
tout les particuliers qui commercent dans des États organisés selon les principes de
l'économie de marché et que les restrictions commerciales se répercutent donc sur le
libre exercice d'une activité économique du citoyen. Il ressort de la jurisprudence de
la Cour de justice qu'une règle de droit qui poursuit la protection d'intérêts
généraux (ici, la libéralisation du commerce mondial) n'exclut pas qu'elle englobe également la
protection de particuliers. Tel est le cas en l'espèce.
En conséquence, le Conseil a violé une règle de droit communautaire dont un
particulier peut se prévaloir.
L'Avocat général propose à la Cour de justice d'annuler l'arrêt du Tribunal de première
instance des CE et de renvoyer l'affaire à ce dernier pour qu'il puisse examiner
les autres conditions du recours en indemnité (préjudice et causalité).
Rappel: Les juges de la Cour de justice des CE commencent maintenant à délibérer
dans cette affaire. L'arrêt sera prononcé à une date ultérieure.